The Natural Flow of Things

Le week-end

Ils l’ont invitée à prendre un café, probablement pour parler du week-end. Le message de WhatsApp ne l’indique pas clairement, mais c’était manifestement leur objectif. Voir s’ils pouvaient aider, donner leur avis, leurs conseils insistants et obtenir la liste de tous les invités. Les commentaires allaient fuser de toutes parts. 

« Garder tes distances, garder tes distances et garder ton sang-froid ». Tel était son objectif, et elle se le répète sur le chemin, mais le trajet est court ! Ils habitaient à 5 minutes à pied de chez elle … enfin plutôt 10. Quand on circulait dans ce quartier il fallait invariablement slalomer entre les crottes de chien, au fumet plus ou moins fort selon leur fraîcheur. Ça augmentait donc le temps de trajet : une micro-seconde d’inattention pouvait se transformer en une glissade sur l’une d’entre elles.

D’ailleurs, le peu de distance qui sépare leurs deux appartements est gênant, car elle n’a souvent pas envie de les croiser dans la rue, de leur faire la conversation et de devoir répondre invariablement à la question « où vas-tu ? », mais aussi « qui vas-tu voir ?» En ce moment, entre deux bouchées de la brioche qu’elle ne peut s’empêcher d’acheter quotidiennement à la boulangerie du boulevard, elle essaie de jouer la carte de l’humour.  Elle répondait souvent : « Mmmm… le maire de Lille m’a invité à déjeuner, j’ai des choses à lui dire » .  

Elle sonne à la porte : le bouton métallique est froid et difficile à enfoncer. Elle espère qu’elle n’aura pas la même froideur avec eux que ce bouton sous son doigt. Elle est déjà un peu stressée.

Elle fait un grand sourire à Jean qui l’accueille à la porte. Leur chat adoré vient aussi la saluer en se frottant contre les jambes de son maître. Il la connait bien mais se méfie toujours pendant les premières minutes. Il a besoin de l’observer d’abord de ses yeux jaunes perçants. Il la comprend : il ressent bien ses émotions. 

Ils se dirigèrent vers la véranda, la seule pièce lumineuse de l’appartement. Elle plissa les yeux pour une seconde. Le contraste entre l’obscurité du salon sans fenêtre et la luminosité de la véranda était brusque. La boule de poils les suivit : peut-être va-t-on lui remplir sa gamelle avec cette pâtée dont l’odeur se diffuse si bien dans toute la pièce dès le clic d’ouverture de sa boîte de conserve.

Le chat en mangera juste quelques bouchées puis se rapprochera de la chaise où elle prendra place. Il sent qu’elle est mal à l’aise et a besoin de soutien. Cela permet aussi de soutirer quelques caresses au passage.  

« Bonjour Eve ! » s’exclame-t-elle avec un large sourire, un peu exagéré pour cacher son inquiétude. Eve est assise derrière son ordinateur portable à la table qui donne sur le jardin. Une des baies de la véranda est ouverte. Le parfum du jasmin commençait à se disperser dans l’air de cette fin de journée estivale. Le félin de la maison décide d’aller faire un tour mais il reste à proximité sur la terrasse. Il la regarde de nouveau.

« Coucou ! Je termine quelque chose et je vais faire une pause avec vous » , répondit Eve.

Jean prépara le café en silence. Elle échangea un regard complice avec le chat posté sur la table de la véranda, qui la fixait toujours. Allez, vas-y, explique-leur, semblait-il dire. Le bruit de cette machine tant vantée par George Clooney était assourdissant. Ça n’équivalait en rien à sa ancienne cafetière italienne Baletti qui exhumait par son bec un parfum puissant et délicieux, dès que l’eau se mettait à bouillir en petites bulles d’eau qui éclatent délicatement. 

Les questions ne tardent pas à venir. « On sera combien à ce week-end ? Tu as proposé à qui ? Pourquoi tu n’as pas fait de groupe WhatsАpp, ça serait plus pratique. » Chacune d’entre elles la piquait comme les petites aiguilles qu’appose un acupuncteur. Une douleur forte mais extrêmement fugace. Et puis, de temps en temps, il y en a une qui fait plus mal que les autres lorsque qu’elle pénètre à la surface de la peau. 

« Pourquoi toujours vouloir ainsi s’immiscer dans la vie des autres? » , pensa-t-elle. « Je ne leur ai pas demandé de m’organiser le week-end: je les ai juste invités. Ce couple est fusionnel, ok c’est beau … mais alors ils sont fusionnels aussi dans leurs conneries! Je ne suis pas capable de gérer les choses moi-même? J’ai 45 ans passés, je peux gérer la logistique d’un tel événement, je peux penser à tout. Je n’ai pas besoin de personnes qui me font en chœur des suggestions très insistantes sur la façon dont je dois procéder. » 

Elle bouillait dans tout son être intérieur mais resta tranquille  et  réfréna toute expression  négative sur son visage. Elle tourna la tête vers le chat, toujours assis sur la table en bois du jardin. 

« On est trop nombreux, les groupes WhatsАpp c’est pénible car on reçoit des dizaines de messages pas forcément très pertinents. C’est rigolo au début mais ça lasse ! » répondit-elle de façon la plus neutre possible.

« Sur quoi on peut t’aider ? » demanda-t-il abruptement mais le plus naturellement du monde. Comme si c’était une évidence qu’elle avait besoin d’aide. 

Cette fois-ci elle le fixa avec un regard qui ne cherchait plus à cacher son énervement. Le chat revint à l’intérieur de la cuisine et s’intalla sur la chaise juste à côté d’elle, il sentait la tension monter. 

« Comment se détacher de ces personnes qui m’ont tant aidé à une époque de ma vie mais désormais sont devenus pesants. Pesants comme des parents. Mes parents ne l’étaient pas, je n’ai pas envie de me retrouver avec des amis qui endossent ce rôle. Je n’aurais pas dû les inviter, d’ailleurs je me suis forcée. Parmi la masse des gens qui seront dans ce village, ils vont me foutre la paix j’espère. »

« Il faut que j’y réfléchisse », répondit-elle du tac au tac. « Reste zen, reste zen » se répéta-t-elle tel un mantra. « Cette question n’est pas agressive. »

Comme d’hab elle n’y avait pas encore bien pensé. Mais Camille lui a déjà proposé par message son aide, elle arrivera deux jours avant. 

« Ah… Ok… » 

Elle sentait une pointe de jalousie. Elle ne leur avait pas signalé qu’ils pouvaient arriver plus tôt. Pourquoi Camille avait ce privilège mais pas eux ?

Allez, c’est parti pour des explications, des justifications, des débats, des remarques et suggestions insistantes de leur part. Eve la regarda discrètement du coin de l’œil, le visage moitié caché derrière l’écran de son ordinateur. C’était évident qu’elle était jalouse des privilèges dont jouissait Camille. Jean ne réagit pas, il finit son café en silence et lui lança un regard bienveillant. Le chat avait désormais atterri sur les genoux de son maître et semblait satisfait de l’attitude. Il adorait ses caresses douces et chaudes.

Elle pouvait déjà imaginer la conversation virtuelle qu’elle allait avoir avec Camille ce soir -là. 

–      Ça y est ils ont commencé à me gonfler.

–      Ils ont fait quoi ?

–      Intrusion dans l’orga, un tas de questions. Comme d’hab. J’ai senti qu’ils sont jaloux que je t’aie proposé de venir avant.

–      Bon, reste zen. Ça va bien se passer. 

Mais pour le moment elle n’était pas avec Camille mais bien là, avec eux, dans leur cuisine. 

Sur les genoux de son maître, le chat ferma ses yeux, signe de totale confiance et d’apaisement. Elle regarde le chat, et après ça, elle jette un regard au couple. Le paradoxe c’etait qu’elle savait déjà qu’ils vont beaucoup l’aider une fois sur place, être efficaces et le soulager de beaucoup de détails pour lesquels elle n’avait pas mesuré l’ampleur. Elle leur en serait reconnaissante et cette situation se reproduirait sans cesse.

Elle sonne à la porte : le bouton métallique est froid et difficile à enfoncer. Elle espère qu’elle n’aura pas la même froideur avec eux que ce bouton sous son doigt. Elle est déjà un peu stressée.

Elle fait un grand sourire à Jean qui l’accueille à la porte. Leur chat adoré vient aussi la saluer en se frottant contre les jambes de son maître. Il la connait bien mais se méfie toujours pendant les premières minutes. Il a besoin de l’observer d’abord de ses yeux jaunes perçants. Il la comprend : il ressent bien ses émotions. 

Ils se dirigèrent vers la véranda, la seule pièce lumineuse de l’appartement. Elle plissa les yeux pour une seconde. Le contraste entre l’obscurité du salon sans fenêtre et la luminosité de la véranda était brusque. La boule de poils les suivit : peut-être va-t-on lui remplir sa gamelle avec cette pâtée dont l’odeur se diffuse si bien dans toute la pièce dès le clic d’ouverture de sa boîte de conserve.

Le chat en mangera juste quelques bouchées puis se rapprochera de la chaise où elle prendra place. Il sent qu’elle est mal à l’aise et a besoin de soutien. Cela permet aussi de soutirer quelques caresses au passage.  

« Bonjour Eve ! » s’exclame-t-elle avec un large sourire, un peu exagéré pour cacher son inquiétude. Eve est assise derrière son ordinateur portable à la table qui donne sur le jardin. Une des baies de la véranda est ouverte. Le parfum du jasmin commençait à se disperser dans l’air de cette fin de journée estivale. Le félin de la maison décide d’aller faire un tour mais il reste à proximité sur la terrasse. Il la regarde de nouveau.

« Coucou ! Je termine quelque chose et je vais faire une pause avec vous » , répondit Eve.

Jean prépara le café en silence. Elle échangea un regard complice avec le chat posté sur la table de la véranda, qui la fixait toujours. Allez, vas-y, explique-leur, semblait-il dire. Le bruit de cette machine tant vantée par George Clooney était assourdissant. Ça n’équivalait en rien à sa ancienne cafetière italienne Baletti qui exhumait par son bec un parfum puissant et délicieux, dès que l’eau se mettait à bouillir en petites bulles d’eau qui éclatent délicatement. 

Les questions ne tardent pas à venir. « On sera combien à ce week-end ? Tu as proposé à qui ? Pourquoi tu n’as pas fait de groupe WhatsАpp, ça serait plus pratique. » Chacune d’entre elles la piquait comme les petites aiguilles qu’appose un acupuncteur. Une douleur forte mais extrêmement fugace. Et puis, de temps en temps, il y en a une qui fait plus mal que les autres lorsque qu’elle pénètre à la surface de la peau. 

« Pourquoi toujours vouloir ainsi s’immiscer dans la vie des autres? » , pensa-t-elle. « Je ne leur ai pas demandé de m’organiser le week-end: je les ai juste invités. Ce couple est fusionnel, ok c’est beau … mais alors ils ans sont fusionnels aussi dans leurs conneries! Je ne suis pas capable de gérer les choses moi-même? J’ai 45 passés, je peux gérer la logistique d’un tel événement, je peux penser à tout. Je n’ai pas besoin de personnes qui me font en chœur des suggestions très insistantes sur la façon dont je dois procéder. » 

Elle bouillait dans tout son être intérieur mais resta tranquille  et  réfréna toute expression  négative sur son visage. Elle tourna la tête vers le chat, toujours assis sur la table en bois du jardin. 

« On est trop nombreux, les groupes WhatsАpp c’est pénible car on reçoit des dizaines de messages pas forcément très pertinents. C’est rigolo au début mais ça lasse ! » répondit-elle de façon la plus neutre possible.

« Sur quoi on peut t’aider ? » demanda-t-il abruptement mais le plus naturellement du monde. Comme si c’était une évidence qu’elle avait besoin d’aide. 

Cette fois-ci elle le fixa avec un regard qui ne cherchait plus à cacher son énervement. Le chat revint à l’intérieur de la cuisine et s’intalla sur la chaise juste à côté d’elle, il sentait la tension monter. 

« Comment se détacher de ces personnes qui m’ont tant aidé à une époque de ma vie mais désormais sont devenus pesants. Pesants comme des parents. Mes parents ne l’étaient pas, je n’ai pas envie de me retrouver avec des amis qui endossent ce rôle. Je n’aurais pas dû les inviter, d’ailleurs je me suis forcée. Parmi la masse des gens qui seront dans ce village, ils vont me foutre la paix j’espère. »

« Il faut que j’y réfléchisse », répondit-elle du tac au tac. « Reste zen, reste zen » se répéta-t-elle tel un mantra. « Cette question n’est pas agressive. »

Comme d’hab elle n’y ai pas encore bien pensé. Mais Camille lui a déjà proposé par message son aide, elle arrivera deux jours avant. 

« Ah… Ok… » 

Elle sentait une pointe de jalousie. Elle ne leur avait pas signalé qu’ils pouvaient arriver plus tôt. Pourquoi Camille avait ce privilège mais pas eux ?

Allez, c’est parti pour des explications, des justifications, des débats, des remarques et suggestions insistantes de leur part. Eve la regarda discrètement du coin de l’œil, le visage moitié caché derrière l’écran de son ordinateur. C’était évident qu’elle était jalouse des privilèges dont jouissait Camille. Jean ne réagit pas, il finit son café en silence et lui lança un regard bienveillant. Le chat avait désormais atterri sur les genoux de son maître et semblait satisfait de l’attitude. Il adorait ses caresses douces et chaudes.

Elle pouvait déjà imaginer la conversation virtuelle qu’elle allait avoir avec Camille ce soir -là. 

–      Ça y est ils ont commencé à me gonfler.

–      Ils ont fait quoi ?

–      Intrusion dans l’orga, un tas de questions. Comme d’hab. J’ai senti qu’ils sont jaloux que je t’aie proposé de venir avant.

–      Bon, reste zen. Ça va bien se passer. 

Mais pour le moment elle n’était pas avec Camille mais bien là, avec eux, dans leur cuisine. 

Sur les genoux de son maître, le chat ferma ses yeux, signe de totale confiance et d’apaisement. Elle regarde le chat, et après ça, elle jette un regard au couple. Le paradoxe c’etait qu’elle savait déjà qu’ils vont beaucoup l’aider une fois sur place, être efficaces et le soulager de beaucoup de détails pour lesquels elle n’avait pas mesuré l’ampleur. Elle leur en serait reconnaissante et cette situation se reproduirait sans cesse.

L’auteur de la nouvelle d’autofiction “Le Weekend” est Laetty, l’une des deux participantes à la première édition “pilote” de l’atelier d’écriture créative (nouvelle d’autofiction) “Sur le cours naturel des choses”. Le rédacteur de la nouvelle est Živko Grozdanoski, qui est également le createur de l’atelier. La nouvelle a été écrite au second semestre 2023, en français, en même temps que les deux autres nouvelles „Плочки“ (“Tiles” / “Carreaux”) et „Љубовно писмо” (“Love letter” / “Lettre d’amour”) a été traduite en anglais et en macédonien par l’auteur de l’atelier et l’auteur de la nouvelle, avec l’aide du site Deepl.com.

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